Le Pont Submersible de Labeaume
Présentation
Le pont est le monument le plus célèbre de Labeaume.
Le pont submersible est situé sur la rivière la Beaume, et raccorde le chemin d’Auriolles au village.
Dès l’origine, les habitants ont manifesté le désir d’aller cultiver les terres d’alluvions, situées en face du village et désiraient également un accès plus facile en direction d’Auriolles.
Il fallait créer un passage sur la rivière.
Ce ne fut pas chose simple avec un lit changeant au gré des crues.
Depuis bien longtemps, le lieu-dit « les Lauses » était un gué. Puis le progrès implanta un bac avec péage réclamé à chaque passage, et enfin un pont submersible vit le jour.
L’étude du projet
En 1874 le Conseil examine l’idée de créer ce pont, car le contrat de fermage allait arriver à son terme.
Une enquête sera établie le 27 décembre 1874.
Une soumission sera lancée, six répondront à l’appel, deux se retireront trouvant les prix trop faibles, des quatre restant en compétition, un offrira un rabais.
Le Maire convoque le Conseil municipal, le 6 avril 1875, à 9h du matin et présente les plans et les devis. Le projet est évalué à 9000F, y compris une somme à valoir pour imprévu de 2 344,47F.
Pour trouver les ressources financières, le Maire propose :
- Une souscription approuvée par Mr le préfet du 11 mars 1874 s’élevant à 7000F.
- Les journées de prestation que la commune entend y affecter à 1 400F, le tout formant un total de 8 400F, somme suffisante car Mr Babois entrepreneur retenu pour la construction offre un rabais de 11%.
Le conseil approuvera à l’unanimité le projet présenté et autorisera le Maire à traiter de gré à gré avec l’entrepreneur.
Le cahier des charges prévoit entre autre que l’entrepreneur devra commencer les travaux dans les huit jours qui suivront la notification qui lui sera faite de l’approbation du marché. Il devra les avoir terminés dans un délai de trois mois après notification. Toutefois elle pourra être prolongée si les fonds venaient à manquer ou pour cause de mauvais temps ou autres.
La longueur du pont prévu dans le 1er plan est de 62 mètres, la largeur de 4 mètres avec une voie charretière de 2,60 m, et avec un trottoir latéral de chaque côté. La plus grande hauteur sera de 4,10 m, réduite à 2,50 m, pour les deux dernières arches.
La construction
Les matériaux, sable, galets et cailloux seront pris dans le lit de la rivière. Toutes les pierres de tailles seront prélevées sur les bancs de roche en bordure de la rivière rive droite.
Les travaux se sont étalés du mois de Mai à septembre 1875, et presque la totalité des ouvriers sont de Labeaume.
La construction ne fut pas terminée en 1875, car des imprévus se sont greffés au projet initial, avec entre autres.
La construction de deux nouvelles arches reconnues nécessaires en cour d’exécution et dont l’une sert au passage du canal du moulin (aujourd’hui sous le passage de la route), mais aussi des fouilles de plus grande dimension, voire encore un cubage supplémentaire de béton.
Le coût total du pont en février 1876 s’élevait à 10 470,37F rabais déduit.
Le 6 Mai 1876 Mr Marron de Saint-Alban ancien fermier du bac rédige une réclamation pour préjudice que cela lui occasionne. Il réclame qu’on le fasse rentier ou que l’on lui alloue une indemnité équivalente vu qu’il est en possession de son droit de passage jusqu’à l’achèvement du pont. Demande qui fut rejetée.
L’entretien du pont
Notre pont eut à subir des dommages au cours d’une inondation importante en 1924 qui abîma fortement le tablier du pont. Le conseil se réunit le 7 mai.
Le Maire informe l’urgence de faire des travaux sur le tablier du pont afin d’éviter tout accident qui pourrait être occasionné par les trous produits dans le bétonnage. Il fait remarquer qu’une main courante est indispensable au moins d’un côté pour éviter le renouvellement de l’accident mortel survenu deux ans plus tôt. Le conseil approuve la décision et vote la somme de trois mille francs.
Le 14 décembre, nouvelle séance du conseil.
Le Maire fait part du devis dressé par M. Mailhon qui s’élève à 4 720 F environ et le garde corps d’un seul côté 4 198,80 frs.
Le Conseil votera la somme de 6000 frs pour les réparations à effectuer sur le tablier du pont. L’idée du garde corps sera abandonnée.
Notre pont eut à subir également des dommages au cours de l’inondation importante du 11 novembre 1996 qui abîma fortement une de ses piles.
Celle-ci, ainsi que son socle, vient d’être entièrement restaurée ainsi que le rejointage de la pile la plus proche, au printemps 1997 par l’entreprise Laurens.
Une plaque commémorative fut placée et scellée dans le mur du béal comportant cette mention :
« PONT CONSTRUIT SOUS L’ADMINISTRATION DE M. TOURRE CHARLES 1877 »
Cette pierre fut fortement endommagée lors de la crue du 22 septembre 1992 et remplacée par celle que l’on voit aujourd’hui qui en est la fidèle réplique.
Il faut saluer le mérite qu’ont eu ces hommes de bâtir ce pont qui de nos jours est l’une des curiosités de Labeaume.
A chaque crue d’automne et de printemps, le lit de la rivière s’élargit, le débit augmente entraînant avec lui, sous la pression, troncs d’arbres, cailloux, sable.
Le pont est alors submergé, impraticable.
Puis la décrue s’amorce, les rives apparaissent alimentées de galets et d’alluvions.
Malgré tous les caprices des temps le pont submersible reste fidèle à lui même, lieu de passage mais aussi élément essentiel du charme du village de Labeaume.
Sources Cahiers des délibérations et Archives municipales de Labeaume.
MM. Gérard Marron, Jean-Claude Fialon
» Le Labeaumois « , bulletin Municipal de Labeaume, N°6 Janvier 1996
La Commission à souhaiter faire intervenir Mr Chemetov afin d’avoir une vue complémentaire sur ce monument célèbre du village .Voici le résultat de sa réflexion :
Le 20 mars 1875, le maire de Labeaume Charles Tourre approuvait le projet d’un pont submersible en onze arches pour établir la communication entre les villages de la Beaume et d’Auriolles ». Ce projet avait été établi par les services du Ministère de l’Intérieur. Il fut dressé par M. Godin, conducteur, faisant fonction d’ingénieur ordinaire, agent voyer d’arrondissement (à Largentière) et présenté par l’agent voyer en chef de l’Ardèche le 22 décembre 1874.
Le dossier qui a été conservé à la Mairie de Labeaume est un document remarquable du point de vue de l’histoire des techniques. Il nous informe sur la passation des marchés publics, il y a plus d’un siècle. En quarante deux pages manuscrites et deux plans, la totalité de l’ouvrage, des devis, des réglements de travaux (y compris suppléments) est définie dans le détail. On voit que l’inflation bureaucratique en augmentant le volume du papier n’a pas pour autant fait progresser la conception des ouvrages Cent vingt ans d’âge, combien de crues et toujours debout, on ne peut en dire autant de bien de travaux plus récents.
Jusque là un bac, affermé par décision ministérielle du 20 octobre 1870 et jusqu’en 1879, à Jean Marron, domicilié à Saint-Alban-sous-Sampzon, permettait de passer d’une rive à l’autre.
Il est certain que la défaite de 1870 provoqua, par réaction, en France, une soif de perfectionnement et de progrès techniques. La décision de construction du Pont de Labeaume participe de ce mouvement.
Le montant initial de travaux était estimé à neuf mille francs, compris une somme à valoir pour tenir compte de fondations mal connues. Ce montant était couvert par une souscription des intéressés et 1400 francs de prestations fournies par la commune de Labeaume, M. Babois, entrepreneur ayant consenti un rabais de onze pour cent, emporta le marché. A ce jour, il n’y a pas d’entreprises de ce nom en Ardèche, et dans l’annuaire téléphonique on trouve seulement cinq personnes de même nom à Beaumont, Laurac et Rochemaure. Certains sont-ils les descendants du constructeur du Pont de Labeaume? L’estimation tenait compte du fait que le sable nécessaire serait prélevé directement de la rivière (elle était encore sablonneuse en ces temps heureux) et que les pierres viendraient d’une carrière dont on voit encore les traces sur Auriolles à une centaine de mètres du pont. Le liant serait obtenu avec de la chaux Lafarge du Teil.
Cependant, en cours de travaux la dépense fut portée à quinze mille francs en raison de la construction de deux arches supplémentaires (aujourd’hui malheureusement remblayées) vers ce qui était nommé la place des Sablas, et aussi en raison de l’approfondissement des fondations. Ces augmentations firent que la construction se déroula en deux campagnes pendant le printemps et l’été 1875-1876. Il est impossible dès l’automne en raison des hautes eaux et ce jusqu’au printemps de poursuivre les travaux.
Le principe retenu pour le pont submersible était de celui de piles tronconiques de cinq mètres de longueur et de cinq mètres d’entraxe pour un ouvrage de soixante mètres de long.
Entre ces piles tronconiques dont la hauteur, du rocher à la naissance des voûtes, était de 2..20, dont 1.50 au-dessus de l’étiage habituel de la rivière, les arches avaient au claveau central, 0.75 m d’épaisseur et 1.30 m aux naissances, soit environ une septième d’élancement, ce qui donne une grande élégance à leur dessin. On peut y voir l’influence des arches surbaissées de Perronnet pour le Pont de la Concorde. Comme dans l’architecture, ou d’autres domaines, la province avec une saveur particulière, une solidité et une rusticité de bon aloi reproduisait les modèles parisiens plus sophistiqués. Le charme du Pont de Labeaume est là, à la croisée de l’élégance technique d’un Perronnet et de la stéréotomie plus fruste que Ledoux mit à la mode à la fin du XVIIIème siècle.
A l’exécution, est-ce en raison des problèmes d’enrochements, on constate des variations dans les entraxes des piles et même dans leur épaisseur.
Le pont était prévu en quatre mètres de large avec deux trottoirs latéraux de 70 cm en pierres, et une chaussée pavée de 2.60 m. On constate que le pavage en galets cubiques cassés au marteau, tels que prévus, a été remplacé par un béton de chaux.
Les naissances des arches correspondaient en hauteur à une crue habituelle, celle d’octobre 1873; par contre les crues exceptionnelles montaient (et montent encore) plus haut. Celle de 1857 dépassait le pont prévu de 6.20 m. On voit que la décision d’un pont submersible était et reste sage.
Une sobre inscription rappelle que ce pont fut construit sous l’administration de Charles Tourre en 1877. Depuis cent dix huit ans, il reste le signe du chef-lieu, trait d’union rectiligne entre les falaises de deux rives. C’est ainsi qu’il a été reproduit sous tous les angles par d’innombrables photographes, c’est ainsi qu’il est devenu, sur les cartes postales, l’emblème de Labeaume.
La construction de la nouvelle route aurait pu amener sa destruction; il fut même question dans les années soixante dix d’un pont en béton armé. Aujourd’hui le Pont de Labeaume est un pont promenade au-dessus de la rivière, car l’abandon du CVO n°2 bis dit des Lauses sur le terrritoire d’Auriolles, chemin qui était encore carrossable jusqu’au début des années soixante dix, fait que ce pont et les quelques maisons et caravanes… qu’il dessert est devenu partie intégrante de Labeaume. Son classement, ou pour commencer son inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques serait un premier caillou blanc pour l’obtention du label « plus beau village de France » que Labeaume pourrait solliciter.
Paul CHEMETOV -29.12..1995
» Le Labeaumois « , bulletin Municipal de Labeaume, N°6, Janvier 1996